samedi 3 juin 2017

Vision à mi-quai

je relie et je rends ma copie!


Peinture de Jean-Louis Petit 1838"Vue du quai Napoléon" à Cherbourg Musée Thomas-Henry
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/31/Vue_du_quai_Napol%C3%A9on_de_Cherbourg_en_1838%2C_Petit.jpg
 
   « Ce matin, après avoir enfilé mon pantalon, comme d’habitude, une chemise, aussi comme d’habitude, mon chat s’étira, comme d’habitude sur le lit,  je me dirigeai dans mon atelier, aux parfums d’huile, de vernis et de différentes térébenthines, pour y revêtir ma blouse.
 
     Ce matin, c’est décidé, j’entreprends un nouveau tableau ! Mes couleurs sont prêtes, la toile apprêtée, 2,00 x 1,10 m, je vais recouvrir, modestement, tout cela de détails, pas besoin d'échafaudage, ce n'est pas demain que je me lance comme M. Géricault à l’assaut d’un radeau de la Méduse et son écran géant, moi ce n’est qu’un très bon téléviseur plat pas courant dans nos foyers.
Pour choisir le sujet, il n’y a qu’à consulter mes croquis, mes notes de voyages en Normandie, mes souvenirs de mes lents déplacements en calèche, les sortir de la naphtaline, ils ont bien trois ou quatre ans. Oh ! Pas mal, je me surprends, c’est moi qui les ai faits, avec un drone et un appareil numérique s’eut été plus simple, car depuis un certain temps mes compositions se produisent autour d’un point de vue impossible car comme quelques confrères depuis les Montgolfier notre œil grimpe sans en référer à une divinité ! Alors connaissant un peu les principes de la perspective nous pouvons nous déplacer dans l’espace sans choquer nos admirateurs. D’ailleurs d’autres peintres commencent à pratiquer des points de vue en hauteur pour surtout mieux indiquer le paysage et son activité.



Etre un écrivain ou un musicien romantique c’est côtoyer la tourmente mais un peintre c’est carrément aborder le déjanté !
Je dis cela peut-être parce que je suis danseur ! 
 Paul-Joseph Bugilter

      Mes thèmes, la tourmente, les tempêtes, voire les naufrages, je suis dedans, j’attrape un fusain et gratte la toile tendue qui raisonne, en soupirant, pour nous !

  
      Passionnément,  je suis prêt à des concessions afin de rendre ma peinture plus parlante mais sans dénaturer les éléments au point où mes contemporains ne reconnaissent rien à ma représentation, il faut que cela soit réel. Un phare, je l’agrandis un peu ! Et une tempête, c’est sans souci ! Et puis c’est joli ! Mais à Cherbourg, faudrait que je fume un joint pour la calmer cette tourmenteuse aquatique, ne pas en faire de trop, surtout si j’y pose quelques embarcations avec des gens pour fournir une échelle de grandeur ! Pas mal aussi, cette série sur la grève à marée base, il n’y a plus que des flaques d’eau et quelques crabes ! Ce n’est pas grave, je vais y mettre la mer, ça fera de beaux reflets ! Un grand ciel, avec du bourouloulou dans l’air, mon paysage urbain à droite, le reste la mer chahutant ! Oui, le Sud, le soleil derrière, une image à contre jour et des jolis effets de miroir ! Je le tiens mon tableau, une fraîcheur d’après l’orage !
Avec ces constructions, ces façades sombres et fermées, formant une vraie falaise que je n’ai pas vraiment, correctement esquissée, une masse non définie, je vais encore un peu inventer, quelques  petites ouvertures, des jours de souffrance et des égouts vomissant !
Oh ! Je vais la cacher cette tour d’entrée de l’église, trop neuve, pas assez romantique !
 
     C’est en place avec cette veuille tour, l’église, cette dentelle gothique, ce bord de quai rugueux d’irrégularités, cette lumière éblouissant les vagues, cette grande ombre à droite, tiens, deux pointes de couleur pour réveiller le coin, et une peu de vert, ces petits navigants, recevant le souffle et le gros clapot sonore des éléments, fuyant les hauts fonds, je mettrais bien deux bateaux en arrière plan, et ce signal, cet obélisque, cette balise magnifique, magnifique de symbolisme, ma respiration s’est accentuée, je vide d’un coup mes poumons et doucement, je reprends la maitrise de mes soupirs, à défaut de haschisch, je vais me taper un verre de Pauillac, château Pedesclaux, le début du litre par jour qui nous sera conseillé par l’institut Pasteur. Et j’attaque le problème avec vanité, Coco ! Celle qui se raille de la mort !
 
    Ce tableau, il finira dans un musée avec un autre titre, il sera rapidement entrevu sur internet et on lui fera dire des conneries, mais il va être bien, ce tableau !
Ils vont me calculer en disant que ce n’est  pas réel, comme pour une photo numérique qui est trop belle pour être vraie, elle doit-être retouchée avec Photoshop ! »


Capture sur Wiki manche à l'époque de cet article!
Le peintre avait raison, comme toujours avec Aragon
 
 Des anachronismes, il n’y en a pas ! Uniquement un peintre qui délire autour de la réalité, presque une conception digne de Disneyland.

Recherche sur la construction du tableau.
 
Montage redonnant aux constructions leurs proportions.
L'obélisque n'est plus qu'un beau menhir bien taillé !

Les cherbourgeois reconnaitront leur ville, certain savent que la tour dite « de l’église » a été démolie très tard mais ces habitations au droit  du rivage et surtout cet obélisque qu'ils considèrent
tous comme  un fantasme de peintre romantique !( Voir https://www.wikimanche.fr/Place_Napol%C3%A9on_%28Cherbourg-Octeville%29 )
 
Les fautes : La barquette chargée, naviguant à cette hauteur de marée pratiquement sur les cailloux et rochers
                  La pente de la couverture des maisons du premier plan, cela ressemble à l’Italie avec du linge à sécher
                 Les proportions de la tour et de l’église, un peu trop d’élancement, elles sont également trop écartées, et surement la hauteur des maisons du bord.
                 Le point de vue n’est possible qu’avec un ballon et on ne sort pas en ballon avec ce temps
                 Le titre, la place ou le quai n’ont pris le nom de Napoléon qu’en 1840 après le retour des cendres
 

Très peu de chose au total, en somme, le reste est vrai !
D’abord les maisons  du rivage, ce n’est mentionné nulle part sauf quelles sont dessinées sur le cadastre dit napoléon et sur d'autres plans, on y distingue même la rampe de descente sur la grève!
 

Le cadastre de 1826 nous indique des habitations en bord de mer ! ( d'autres cartes également mais pas aussi précisément)
Dans l’angle, les petites parcelles enchevêtrées semblent faire taudis, pas glorieux pour la ville.
La place du Rampart s’appuie sur un quai formé  par les fondations de la fortification Nord.
http://www.archives-manche.fr/ark:/57115/a011276094168hO7v5H/c2dbcbb61d
 
 
Et l’obélisque, fantaisie, mais il est indiqué sur des cartes de l’époque comme un signal, une balise d’alignement avec l’amer du clocher de l’église d’Octeville indiquant l’entrée Est de la rade avec sous la quille, les meilleurs bas fonds.
 
Plan établi après 1840, source Galica

Edition 1850 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530849690/f1.item.zoom



Nous pouvons seulement douter de la forme exacte de cet objet qui sur ce tableau, semble être un monolithe ! Matériaux, surement pas plâtre mais un peu de ciment ! Ou du bois ! Pierre ! Mais comment ?
Et également se poser la question du pourquoi la balise est-elle  implantée sur la grève, pour, peut-être, ne pas mêler le civil à la marine, ou est-ce à l’origine, et cela semble plus simple, une marque indiquant un haut fond  rocailleux qui fut détournée en amer avec la construction de la  grande digue.
  
Agrandissement du plan.  A noter le cône N°5 ( voir notice) une balise sur la grève !
 
 
 

           Ici, il n’est pas impératif d’émettre une conclusion, elle est téléphonée, à l’évidence les éléments représentés sur cette toile ont une réalité historique mais sont interprétés et déformés et encore par nos contemporains! Donc, le crédule est toujours faible et manipulable surtout confronté à la quantité d’informations et à leurs formes qualifiantes !

Nous ne pouvons plus qu’ouvrir notre pensée que sur des absurdes :

 Le passage du peintre sur place pouvant dater d’avant 1820, l’obélisque, ancien repère, un peu rajeuni et retaillé, trouve sa place sur la fontaine à cette date. Cela existe, nous connaissons ce type de tricherie à toutes les époques, et c’est une économie conséquente pour une commune, mais avec une tendance à être trop souvent partagée avec aussi la distribution de pots de vin.

Le passage du peintre sur place pouvant dater de 1820, dans le même temps, au moment du transport de l’obélisque. Celui sur une barge attendant à être levé, attire la curiosité de l’artiste et qui demande à un matelot si ce long caillou doit remplacer la balise sur la grève, ici c’est un pays où le Parisien est souvent raillé, et le marin lui répond par l’affirmative !

Et oui, il est possible aussi  que le peintre ait trouvé plus intéressant de remplacer un gros bout de bois par l’obélisque de la place d’armes ! Ou même a-t-il été victime d’un plaisantin qu’il lui aurait indiqué que l’obélisque était auparavant dans l’eau ! Et le farceur n’en était, peut-être pas un !
Le grand Devin Shadok , sous les traits de P-J Bugilter, m’a dit que Napoléon pompait. En effet il a pompé un théorème et un problème  de géométrie qu'il s’est attribués !
 

          Il reste aussi la probabilité que les deux obélisques ont existé en même temps et le signal fut assez vite oublié avec les agrandissements consécutifs de la place ! Un recensement des carrières et de la quantité de pierres dégageables, fut composé pour s’assurer la faisabilité de la grande digue. C’est énorme, des tonnes de pierre furent employées, parmi celles-ci des morceaux intéressants, l’un d’eux assez long, peut avoir été mis de coté, grossièrement remodelé et utilisé pour remplacer le gros mât de la balise ! Et le peintre l’a sublimé !


Nous écrivons granite avec un E mais dans notre dico de 1900, c’est sans, c’est pas grave !

Pour passer à un autre mystère nous avons cette espèce de fuite de la barquette avec embarqués 4 hommes, 3 femmes et une fillette, dans des conditions atmosphériques difficiles, pouvant évoquer des personnages particuliers, des princes, des espions, en émigration et vont-ils rejoindre ce navire au large ou poursuivre ainsi équipés !

Complots, divagations, hallucinations, délires, élucubrations d’Antoine, radotages et colportages de toutes sortes, nous pouvons nous les permettre puisque, sans enquête, des commentaires sont déjà émis par des sérieux !
          Alors empruntons aussi cette brèche en indiquant que ce travail articule des époques et plusieurs pensées en mouvement, le classique jusqu’au baroque, le romantisme, le pompier avec le kitsch et la longue continuité, en passant par la consommation de masse,  jusqu’à nos jours avec Disney !
 
Une introduction au surréaliste!
 
Il y a donc, maintenant, une conclusion presque une morale en deux ou trois points :

Ce n’est pas parce que nous n’avons pas de preuve qu’il n’y a pas, c’est comme le cygne noir!

Il peut y avoir, avec le poète, des transgressions mais il dit une vérité ! La sienne !

Donc, attention, aux interprétations trop hâtives !

Car, ici, ce n’est qu’une peinture, la proposition d’un peintre, il y a mis son savoir-faire, ses influences, ses choix, les tourments de l’incertitude, mu par des futilités et des choses graves à son regard, et nous sommes en train de l’analyser comme un document historique!  C’est ridicule!

 
Merci, Bernard!
Et merci Luce pour avoir mesurer le tableau.
 
 
 Nota : Nous écrivons granite avec un E mais dans notre dico de 1900 c’est sans, c’est pas grave 
Autres documents et références ;
Les cartes
http://www.archives-manche.fr/ark:/57115/a011390312820GQtOID/45c42a54d8
http://www.archives-manche.fr/ark:/57115/a0114418082783YRPYV/330d3b056e
http://www.archives-manche.fr/ark:/57115/a011441808251eFBaCW/9b0b10c917

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8442717g/f2.item.zoom plans de 1816

Tableau synoptique des éléments à retenir.

Le plan de l’église après la construction de la tour d’entrée


L’élévation et la coupe de la tour avant sa démolition (une copie)

 
Une vue surélevée de la plateforme, dessin de l’époque, vue peut-être du haut d'une des maisons du coin, du bord de l'eau comme nous pouvons les voir sur ce plan de 1816!

 
 
 
 
 
 
Le phare de Gatteville 1838 JL Petit
Une énorme tendance à grandir les bâtiments, mais Barfleur est correctement placé ainsi que le moulin à vent, indiquant l'étude de cartes géographiques pour la réalisation de ce tableau nous permettant de penser que l'auteur n'invente rien, il arrange.

 



     Et à consulter wikimanche.fr, les archives de la Manche, gallica.bnf et bien sûr aller contempler ce tableau, dans un lieu tempéré, au Musée Thomas Henry à Cherbourg, 5€.



Enfin le document édité pour une exposition « La ville que nous voyons » Point du jour
http://www.lepointdujour.eu/images/documents/dossier_enseignants_expo_claire_tenu.pdf (qui n’ont pas fait d’erreur sur le prénom du peintre)

 
 
 
 
 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Même sur ces choses simples, ils nous mentent ou ils se trompent !